Entretien avec Jean-Pierre Cuzin, conservateur général du Patrimoine,
chargé du département des Peintures au musée du Louvre

Que peut apporter le multimédia au patrimoine ?


Il convient, me semble-t-il, de distinguer ce qui est scientifique de ce qui est culturel. Sur le plan scientifique, le CD ROM ne fait pas, pas encore, partie des outils de l’histoire de l’art. Nos outils (catalogues, revues, monographies) sont encore largement dominés par le papier et une culture de l’écrit. Et c’est très bien.
Peut-être, dans un certain avenir, le CD ROM pourra-t-il servir de médium pour la publication de certaines données comme des actes de colloque ou des inventaires sommaires illustrés, mais la version papier continuera d’exister, la version électronique étant essentiellement un outil commode de diffusion du savoir en direction d’organismes singuliers (bibliothèques, universités, instituts d’histoire de l’art). Toutefois, ce n’est pas encore le cas et il n’est pas certain que les développements actuels des nouveaux réseaux comme Internet ne s’imposent pas, au détriment-même du CD ROM, en tant qu’outil de partage du savoir. Ce qui est aussi la mission d’un musée comme le Louvre.

Sur le plan culturel, la pertinence des nouveaux média semble plus évidente. Il s’agit ici aussi de partager, partager du savoir évidemment, mais aussi du plaisir, de l’étonnement, de la délectation.
Car ce titre, Musée du Louvre, peinture française, s’adresse avant tout au plus grand nombre. Un public d’adultes d’abord (amateurs, curieux aimant les musées, leur histoire, leurs collections) mais peut-être aussi des étudiants, et pourquoi pas certains spécialistes, qui pourront facilement retrouver l’accrochage de telle ou telle salle.
La possibilité de se mouvoir librement en manipulant la "souris" d’une salle à l’autre dans l’espace des soixante-dix ou quatre-vingts salles du parcours de la peinture française est évidemment très séduisante. On peut aussi penser que ces nouveaux outils vont prochainement modifier certaines méthodes d’enseignement, et que, notamment dans les écoles, ce genre de productions interactives rencontrera un assez grand succès. La possibilité d’imprimer des fiches et des textes à partir du CD ROM y sera sans doute pour beaucoup.

Comment s’est passée votre collaboration ?

Je ne suis intervenu qu’assez tardivement dans la production de ce CD ROM. C’est avant tout Vincent Pomarède, conservateur dans mon département, qui a préparé l’essentiel des commentaires, notices et fiches explicatives (historiques et biographiques notamment).
Cet important travail d’écriture ne prétend toutefois pas être une somme scientifique sur la peinture française. Il s’agit avant tout d’être clair, précis, mais aussi concis, de telle sorte que le spectateur ou l’utilisateur ne soit pas perdu. La concision, rendue nécessaire par le médium - lire un long texte sur un écran est assez difficile -, nous fait bien sûr avoir des regrets sur tel ou tel aspect : ne fallait-il pas en dire un peu plus sur tel artiste ? Ne nous sommes-nous pas trop étendus sur telle question ?
Le juste équilibre est toujours difficile à trouver et encore plus à garder. Je suis entré dans ce projet à la demande d’André Hatala et de Pierre Coural qui cherchaient comment amener un peu de chaleur humaine dans ce projet. Le CD ROM est par nature, à la différence du cinéma, un médium froid. Leur proposition a été de me demander d’introduire les visiteurs aux grandes séquences muséographiques et artistiques - qui sous-tendent le circuit de la peinture française au Louvre. Nous avons donc travaillé sur un découpage par sous-ensembles des salles, et j’ai réfléchi à une courte introduction pour chacune de ces grandes entrées.
Bien sûr, il ne fallait pas le lire mais le dire, et nous avons enregistré plusieurs versions en studio. Au total, je suis évidemment un peu surpris de me voir sur un écran d’ordinateur, mais si ce genre de collaboration peut amener un CD ROM à toucher un plus large public, je crois qu’il faut le faire.

Entretien paru dans CD Loisirs du mois d’octobre 1996.



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